Deux lionceaux d'or armés tiennent un tore orné de croix (armoirie rare en comté niçois)
La Brigue (Briga en nissart) se trouve à l’extrême nord-est du département des Alpes-Maritimes et à la pointe orientale du comté de Nice. Ce village d’environ 600 habitants est situé à 770 mètres d'altitude, dans la haute vallée de la Roya. Il est bâti au confluent de deux rivières, la Lévenza et le Rio Secco, d’où proviennent les galets dont les rues sont pavées.
Ce lieu chargé d’histoire, qui devait sa prospérité au pastoralisme et à la route du sel, est aujourd’hui classé monument historique. Malgré ses apparences de village de montagne, cette commune possède un patrimoine architectural très riche et compte sept Monuments Historiques classés.
Agneau pascal dans un tore entouré par deux grandes lettres J S
Avec ses ruelles pavées, ses longs passages voûtés et ses maisons colorées décorées en trompe-l'œil, le village de la Brigue est très typique des villages piémontais de l’arrière pays niçois. Au cours de votre visite, vous remarquerez sûrement, au-dessus des portes, de magnifiques linteaux sculptés. Ces linteaux armoriés des XVe et XVIe siècle sont l’un des trésors de la commune.
Placés au dessus de l'entrée des maisons. Ils sont ornés généralement de symboles religieux et philosophiques, des blasons des familles nobles, agrémentés parfois de formules de protection ou de sentences morales. Les linteaux de La Brigue peuvent être répartis en trois grandes familles :
les linteaux décorés de motifs religieux (chrisme, INRI, Agnus Dei, etc...), ceux décorés d'armoiries et d'initiales des familles les ayant fait poser, et enfin ceux portant des phrases d'ordre moral ou religieux. Parfois les trois styles cohabitent sur un même linteau. On peut noter que les linteaux armoriés ont été martelés en 1797 après l’arrivée des troupes révolutionnaires.
La pratique des linteaux est courante dans toute la vallée de la Roya, et dans les vallées italiennes. Vous avez pu le voir dans mon article sur Triora et ses sorcières ou les linteaux de porte sont nombreux. D’ailleurs Triora et la Brigue sont jumelées et les deux vallées sont frontières et peuvent même se rejoindre par un sentier muletier.
Aigle du comté de Nice (L’aigle imperial posées sur un (triple) mont « de sinople » sortant d’une mer « ondée d’argent »).
Chaque village se distingue par l'utilisation de pierres différentes, à la coloration variant selon la carrière d'où elles étaient extraites: mauve pour Fontan (carrière des gorges de Saorge), verte à Tende ou encore noire à La Brigue (carrière de Triora). Une cinquantaine de linteaux sculptés datant des 15e et 16e siècle parsèment le très joli village de la Brigue.
Agneau pascal dans un tore en guirlande tenu par deux anges
Constitués en pierre noire de la région de Tende ils ont souvent le monogramme I.H.S qui est traduit par Jésus sauveur des hommes gravé dessus. Là encore, c’est en déambulant dans le village que vous pourrez le mieux apprécier la découverte de ces trésors ! Pour vous guider, l’association «Patrimoine et traditions brigasques» vous propose de découvrir les linteaux suivants :
un IHS souligné d'une maxime, 1471 (24 rue Famille Arnaldi) ; un IHS entre deux églises, fin XVe (10 rue Fenoglio) ; un agneau pascal accolé de deux anges, début XVIe (22 rue Bernardin-Alberti); un agneau pascal et motifs floraux, 1477 (7 rue de la République).
Il y a encore dans ce village la trace d’un nom de rue du Ghetto marqué à la peinture. Une plaque a été apposée en 2013 pour perpétuer le souvenir de la présence des juifs dans le village. Curieusement sur une porte de cette rue, est gravée une inscription catholique en caractères gothiques ce qui impliquerait une certaine cohabitation. Cette rue se trouve en prolongement de la rue Arnaldi sur la rive droite du Rio Secco.
Dans une note de l’office du tourisme on peut lire : « Chassés par le Roi de France, les juifs se sont installés à Nice au XIIIème siècle. Les Ducs de Savoie appréciaient leurs qualités de médecins mais aussi parce qu’ils avaient le droit de vendre et échanger argent et bijoux. S’intéressant très vite aux foires de la Brigue où les transactions nécessitant des opérations de change étaient nombreuses, ils s’installèrent peu à peu au village.
Afin d’éviter entre les deux religions des « rapprochements maudits », les juifs furent confinés dans un quartier spécial (la rue du Ghetto) isolés du coucher du soleil jusqu’à l’aube. L’Edit de 1430 interdit à l’égard des juifs toute forme de violence. Malgré quelques périodes difficiles la communauté juive représenta à la Brigue et dans tous les Etats de Savoie une force très importante pendant plusieurs siècles .
Mais revenons à nos linteaux ! Ils sont en schiste noir (issu du hameau de Realdo en Italie, anciennement attaché à la commune de La Brigue, puis, depuis 1947 à la commune voisine de Triora). Ces linteaux ont été exécutés par des lapicides ( ouvriers qui gravent des inscriptions sur la pierre) venus de Ligurie. Ils témoignent de la prospérité de ces villes aux XVe - XVIIe siècles, alors situées sur la route du sel vers le Piémont.
Notre Dame des Fontaines de la Brigue
Plusieurs sigles reviennent souvent sur ces linteaux. Placés ainsi au-dessus des portes, ils devaient éloigner le diable et les mauvais esprits... Comme le monogramme du Christ IHS ou JHS (de Jesus Hominum Salvator). On y retrouve souvent les armoiries des familles et pays importants. Ou, plus simplement, les initiales du propriétaire... Le tout, parfois accompagné d'une maxime.
Les photos sont prises à main levé dans l'obscurité totale
Monument fabuleux pour une si petite commune est la collégiale Saint Martin (une légende rapporte que Saint Martin de Tours aurait prêché à La Brigue). Elle a été construite entre 1484 et 1509. La collégiale Saint Martin de construction romane fut démolie à la fin du XIV siècle (peut-être à la suite d'une inondation ou d'un incendie) et entièrement rebâtie en style roman lombard.
Une partie des fresques exceptionnelles de cette église est reproduite dans le musée du Palais de Chaillot à Paris
Mais l'édifice médiéval fut entièrement "baroquisé" au XVIIe siècle et avant même cette date, il avait recueilli des retables et tableaux de la Renaissance niçoise du peintre Ludovico Brea né vers 1450 à Nice (alors dans les Etats de Savoie) le magicien des retables qui est représenté au musée du Louvre.
En levant les yeux, on aperçoit l'orgue monumental de 1849 qui a des allures de théâtre. Il servait aussi à faire de la musique, des concerts. C'est un instrument complet: on y trouve une grosse caisse, une bombarde, des campanelles et rossignol…
On trouve sur la façade latérale de la collégiale l'un des plus vieux linteau de Ligurie et du comté de Nice. Il est daté de 1234, c'est une pierre de réemploi provenant peut-être de la première église de la Brigue.
Enfin, la magnificence des peintres ligures et piémontais se trouve dans la chapelle Notre Dame des Fontaines. Surnommée la "Chapelle Sixtine des Alpes du Sud" cette chapelle est entièrement décorée de peintures murales de 1491- 1492. Les décors retracent la vie de la vierge dans le chœur et celle du Christ en 25 tableaux (220 m2) sur les murs latéraux.
Ces chefs-d’œuvre sont respectivement de Giovanni Baleison et Giovanni Canavesio, tous deux peintres originaires du Piémont. Les panneaux décrivent la vie de Marie et l'enfance de Jésus, ainsi que le Cycle de la Passion et le Jugement dernier.
Les circonstances ayant conduit à la réalisation de cette œuvre majeure extraordinaire, les fresques de la Passion et du Jugement dernier, sont obscures et compliquées. En 1474, le comte de Tende, Honoré, de l'illustre famille Lascaris, fut empoisonné par son intendant.
La collégiale Saint Martin de la Brigue
Sa veuve, Marguerite, accusa ses cousins, seigneurs de La Brigue, Pietrino et Barthélémy, d'être les commanditaires du crime. En 1483, elle réussit à mettre la main sur Pietrino qui fut emprisonné et torturé. Les Brigasques demandèrent humblement la libération de leur seigneur que Marguerite leur accorda en principe contre 800 florins d'or, somme exorbitante pour cette modeste communauté.
Soudainement, et pour des raisons mystérieuses (certains pensèrent qu'elle n'était au fond pas fâchée de la disparition de son mari, voire qu'elle n'en était pas tout à fait innocente…), elle renonça à la rançon à condition que la paroisse embellisse la chapelle pour une somme équivalente. Le doyen du chapitre de la collégiale Saint-Martin, Don Bernardino, réunit la somme nécessaire (sans doute moins que les 800 florins !) par souscription et avec l'aide de la Banque de Gênes.
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Notre Dame des Fontaines a été construite au milieu des sept sources aux vertus miraculeuses. Selon une légende lors de sa construction l’une des sources se changea en vin à l’heure des repas. Mais ceux, avides, qui voulaient l’emporter chez eux ne retrouvaient que de l’eau.
*L’aigle est certainement avec le lion l’une des plus fières figures héraldiques. Depuis les temps antiques, l’oiseau royal – mais appelé à devenir impérial – n’a cessé de fasciner et, de la sorte, d’être choisi comme emblème d’une lignée, d’un peuple ou d’un pouvoir étatique. L’origine de l’aigle de Nice, consiste en ce que l’aigle représente Amédée de Savoie, le Comte Rouge, vicaire du Saint Empire Romain Germanique qui, en 1388 prend sous sa protection les populations de Nice et des quatre vigueries qui passent alors de la suzeraineté des Anjou-Naples à celle des Savoie. L’aigle reçoit une couronne comtale symbolisant sa domination sur le comté de Nice. Les trois monts sur lesquels l’aigle est installée sont bordés par une mer stylisée. L’aigle de Nice s’impose comme un rappel des moments où la grandeur des civilisations européennes s’est placée sous la signification du plus prestigieux des oiseaux.
DIAPORAMA LINTEAUX BRIGA