Quand plus de 2 500 moutons transhument de Caussols à Beuil.
Elles ont de petits cœurs bleus dessinés sur le dos ou bien une étoile rouge. À l'intérieur, une lettre. Celle que leur propriétaire a choisi d'apposer pour les identifier. Les 2 500 bêtes emmenées par Patrick Bruno ont quitté bruyamment, mardi 22 juin en fin d’après midi, le plateau de Caussols pour un périple de 180 kilomètres sur les hauts plateaux de l’arrière pays Niçois.
tous les soirs à l'heure du bivouac , il faudra refaire les enclots. Le loup rode...
Direction Beuil et ses plateaux d'herbes fraîches pour une arrivée prévue 6 jours plus tard. Une transhumance. Comme autrefois, comme aujourd'hui encore. Une tradition. Une passion aussi. Celle d'un berger de Caussols dans les Alpes Maritimes. Quasiment le dernier des Mohicans.
Patrick Bruno le berger et Alain Zwahlen mon loc
« Il y a longtemps qu'on va à pied... » Me lance Patrick Bruno, chapeau visé sur la tête, gilet fluo sur le dos, les yeux rivés sur son troupeau. Autour de lui, ses enfants, ses neveux et nièces, ses amis. Pour la première étape, ils sont venus nombreux, accompagner moutons, chèvres, chiens. Pour la suite du parcours, ils ne seront que six. Les plus téméraires. Les plus aguerris aussi. « Une transhumance, c'est de la Saint-Jean à la Saint-Michel ». Retour à la mi octobre, donc. Dormir à la belle étoile.
toute la logistique dans les vehicules, Marion est sur tous les fronts, moutons et cuisine
Les fouets claquent. Les bergers ou apprentis bergers sifflent, crient, courent. Les sonnailles, les cries des bergers, les chiens de conduite qui courent et c’est une marée laineuse qui glisse vers la route. L’aventure commence. Les chiens rabattent les indisciplinés, accélèrent le rythme, suivent à la lettre les instructions.
c'est le depart de la mairie de Caussols
« Il y a quatorze chiens mais ils ne travaillent pas tous les jours ! Comme ils n'arrêtent pas d'aller et venir, ils se fatiguent bien plus que nous ! Alors, on les laisse se reposer une journée dans un véhicule puis ils reprennent le lendemain ».Des véhicules ?
Certains ont déjà filé vers le point d'arrivée, à l’endroit ou le bivouac et l’étape du soir doit se faire. Une caravane est attelée mais personne ne dormira à l'intérieur... « C'est le garde-manger » s'amuse Papy l’ancien restaurateur du village, maintenant à la retraite qui est rentré de Porto Vecchio exprès, « nous, on dort à la belle étoile ! ». Il rit. Papy et sa bonne humeur, c’est toute mon enfance que j’expliquais dans l’article sur Johnny Rivers.
Papy de Caussols et Marion sont prét pour l'aventure
« Ouh ! Celle-là, elle est terrible ! » S’exclame Marion, une jolie blonde très sympathique, en cavalant derrière une petite chèvre rebelle. C'est sa seconde expérience de bergère et, fouet à la main, elle tâche de faire montre d'autorité. Pas évident. « Il faut pousser, hein ! » s'égosille Emilie comme pour stimuler les novices. La nièce de Patrick, elle, n'en est pas à son coup d'essai mais cette fois, elle fait le parcours en entier.
le plateau de Caussols et l'embut
Je revis Caussols. « Ce que c'est beau ! Ha ha ha ! On revit Caussols ! » lance une dame descendue de sa voiture pour regarder passer les milliers de bêtes, le sourire jusqu'aux oreilles et la larme à l'œil. Il faut dire que le spectacle n'est plus vraiment courant. C'est en camions que sont transportés la plupart des moutons pour le parc du Mercantour dans le haut pays Niçois.
Plus pratique, plus rapide. Mais ce n'est pas le choix de Patrick. « Le transport c'est une dépense ! On a dû vacciner le troupeau contre la fièvre catarrhale... Avec ce que ça nous a coûté, il est bien évident qu'on aurait pu payer des camions ! Mais j'ai préféré marcher... Je suis né avec un bâton de berger dans la main. Mes parents prenaient le même chemin... La passion, c'est aussi vivre cette expérience ».Et c'est la partager avec ses proches.
sur la route de l'observatoire de la cote d'azur
Les paysages défilent. Le soleil se perd petit à petit derrière les sommets. « On n'avance pas vite... » S’inquiète Angelo, ancien berger, en tête de cortège. La chaleur. Les animaux y sont sensibles. Un peu plus tard, ils retrouveront un bon rythme. Nawal, aubergiste à Caussols, pour la première fois de la partie, se soucie, elle, des brebis qui boitillent. La fatigue commence à se faire sentir. La randonnée touche à sa fin. Demain, il faudra repartir. Laisser des courageux en route et poursuivre. Patrick Bruno en tête. Comme toujours. « Il faut être un peu marteau pour faire ce métier ! » Ou bien être tombé dedans tout petit...
Amoureux indécrottable du Mercantour et de ses moutons, Bernard Bruno, 42 ans, a repris, au printemps dernier, le chemin des alpages. Comme depuis vingt ans et à pied. La crise du carburant est passée par là. Après huit mois passés, à Caussols sur les hauts plateaux de l’arrière pays Grassois (Alpes-Maritimes), l’éleveur a regagné sa ferme de Saint-Vallier-de-Thiey, où il élève un troupeau de plus de 1000 bêtes. « Si on y va à pied, c’est aussi parce qu’on aime ça, même sans la hausse du gasoil, j’y serais allé à pied ».
Le berger perpétuant, avec quelques collègues, une tradition au parfum suranné. Avec ses amis et sa sœur, convaincus de la transhumance à pied, ils ont mené 2500 bêtes, là haut sur la montagne. Entre lui et le mouton, c’est une telle passion qu’il en oublie parfois sa vie de famille. « Eleveur depuis l’âge de 14 ans, je tente de convaincre mes deux jeunes enfants de 9 et 11 ans de prendre ma suite ».
la releve est assuré par les pitchouns du berger
Président du syndicat ovin des Alpes-Maritimes depuis 1998, il dit « que le métier est dur, qu’il ne compte pas ses heures, et qu’il paye peu ». Aussi, les candidats sont rares. Traité de fou par ses amis, persuadés qu’il vit le bagne, il rétorque qu’il a le métier dans la peau. Malgré le loup et le Lynx qui pointe leur nez et décime les troupeaux. (Début juin 25 moutons ont été tue par les loups dans l’arrière pays Grassois).
La transhumance est la migration périodique d'une part du bétail de la plaine vers la montagne ou de la montagne vers la plaine. Les archives du Comté de Nice font état de contrats passé au début du XIVe siècle, entre des montagnards et des éleveurs. Les premiers ayant rapporté au pays les troupeaux des seconds.
Du latin trans au-delà et humus la terre, la transhumance se poursuit depuis des millénaires ; elle en est devenue presque sacrée. Les transhumants ne marchent pas pour la coutume ou le folklore, mais pour leur travail. Une marche lente et irrégulière, exigeant une attention de tous les instants (2km/h).
De solides gaillards à la peau tannée à barbe noire ou blanche et chapeau de feutre vissé sur la tête parcourent les chemins vers les alpages du Mercantour. Des hommes et des femmes courageux, fiers de leurs pays et de leurs traditions, complètement à l’opposé des tocards de l’équipe de France de foot. Ici on a , à faire à des hommes, pas à des « clampins » du ballon rond ! Qui referont la route inverse au mois d’octobre avec le risque possible d'orages violent et tout ce que cela peut comporter de danger.
Christian Raibaud de la ferme de la celle qui fait des promenades à cheval pour les amateurs
La transhumance est un moment très spécial de l’année. Nous parcourons presque 200 kilomètres en sept jours, tantôt sur la route, tantôt sur des drailles (du Niçois drayo, sentier). Chaque jour il faut faire manger les brebis, mais aussi les chiens et les hommes. Chaque soir il faut trouver un endroit avec de l’herbe, un point d’eau et une configuration de terrain qui permette le pacage des bêtes, mais aussi un parking pour les voitures accompagnantes. Ça demande une logistique sans faille " me raconte Alain (le locataire qui habite à l’année le chalet que je possède à Caussols).
l'eglise Saint Lambert du XIIe siecle de Caussols
De plus c'est un métier, un vrai métier. Les chevelus de mai 68 ont tous voulu avoir un troupeau de moutons. Comme le travail était épuisant et la mortalité (faute de soins éclairés) trop forte ils ont rejoint les cités administratives, pour rentrer dans le rang des penseurs et des ronds de cuir en costard cravate qui donnent des leçons de morale aux manuels et aux vrais travailleurs.
passage par la draille
La transhumance ovine se pratique dans les deux sens. En ce début du XXIème siècle, ce sont 600 000 ovins qui montent en estive dans les Alpes du Sud (Mercantour, Ubaye, Haut Verdon) ainsi que dans les montagnes méridionales du sud du Dauphiné (Vercors, Briançonnais) et 100 000 ovins qui descendent l’hiver de la montagne vers les plaines.
Les Alpes niçoises affichent des affinités piémontaises par l'élevage bovin, tout en gardant leur caractère méditerranéen par le maintien de troupeaux locaux de brebis et de chèvres. La tradition n’est pas prête de s’arrêter.
Sans Caussols, le pays Grassois ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui. Le plateau etait le grenier du bassin Cannois et sa flore est l'une des plus importante d'Europe. Le botaniste Louis Poirion preconisait , il y a deja quelques decennies , la creation d'un parc regional qui selon lui serait une chose unique en Europe.Une geologie et un spectaculaire relief Karstique le plus typique de France et le plus grand d'Europe.
Un nombre extraordinaire de fleurs , l'une des moyennes les plus elevées de notre continent. Dans les Alpes Maritimes,par manque de curiosité,par routine,par indifference,nous avons trop souvent oublié notre grenier,avec toutes ses immenses richesses,le grenier de nos anciens situé dans le moyen et le haut pays,pour ne nous tenir que dans les salons d'apparat de la cote. Caussols nous donne l'occasion de retourner aux sources , de retrouver un coin paisible à moins d'une heure des plages ou il fait bon respirer, rever et aussi s'instruire.
Demandez à Edith et Pascal de la chevrerie du bois d'Amon de nationalité Belge venus s'installer depuis quelques années,une qualité de vie incomparable ne les fera plus jamais changer d'endroit...
Une superbe ambiance familiale ou le soir autour d’un feu de camp tout le monde déguste la soupe au pistou faite par la jolie Marion de chez "Magic Poney". Dommage que je n’ai pu rester avec eux,une autre invitation m'attendait, ce sera certainement pour l’année prochaine. C’est aussi cela la cote d’Azur, une terre de paradoxe et une terre de tradition…
DIAPORAMA DE CAUSSOLS ET DE LA TRANSHUMANCE