Dans la sensibilité méditerranéenne marquée par le faste et l’ostentation baroque, les cimetières occupent une place patrimoniale particulière, renforcée par une approche particulière de la mort. En Italie, les cimetières monumentaux de Gênes ou de Milan constituent de véritables résumés, et de l’histoire des mentalités, et de l’histoire de l’art. Il en va de même à Nice qui se rapproche culturellement de ces deux grandes cités historiques.
les résidents peuvent admirer une vue magnifique sur la baie des anges
Il semble qu’avant l’âge baroque, les Niçois ont enterré leurs morts dans des cimetières de la ville basse (l’actuel Vieux-Nice). Deux d’entre eux ont été localisés : le cimetière Sainte-Réparate (site de l’actuelle place aux Herbes) et le cimetière Saint-François (site de l’actuelle partie nord de la place Saint-François).
Pour autant, dans le souci de se trouver au plus près des espaces les plus sacrés, et donc de Dieu, des sépultures ont aussi lieu dans les églises, singulièrement pour des grands personnages : le sénéchal Romée de Villeneuve dans l’église des Dominicains (sur le site actuel du Palais de Justice), le marchand florentin Bardi (XVe siècle) dans l’église Saint-François ou la duchesse Béatrice de Savoie (1503-1538) dans la cathédrale Sainte-Marie du Château.
d'un coté la mer, de l'autre les montagnes enneigées du Mercantour. Exceptionnel !
L’âge baroque va multiplier la possibilité de sépulture dans les églises, d’autant que le cimetière urbain de Sainte-Réparate disparaît (1588). L’ensevelissement des morts dans les églises niçoises est à la source de leur très riche décoration : pour répartir les coûts de construction, les commanditaires des bâtiments que l’on réédifie entièrement alors, dans le nouveau style baroque, vendent à des particuliers (nobles) ou à des associations (corporations) les chapelles latérales de l’édifice, avec la faculté pour eux d’y enterrer leurs morts.
Rossi, un grand nom du Comté de Nice
Dans une émulation propre aux mentalités de ce temps, les propriétaires vont rivaliser de luxe pour rendre leur chapelle plus belle que celles de leurs voisins. En 1783, un édit du roi de Sardaigne Victor Amédée III défend d’ensevelir les cadavres dans les églises, tant urbaines que rurales, l’interdiction ne s’appliquant pas aux clercs. Il s’agit alors de trouver un nouveau site pour établir un cimetière. La colline du Château, un terrain vague depuis la destruction de la citadelle (1706) s’y prête parfaitement, tandis que d’autres champs funéraires trouvent place auprès des paroisses de la campagne.
Benoit Bunico fit abolir en 1848 l’obligation de résidence pour les Juifs dans le ghetto
Le cimetière chrétien du Château est donc ouvert après 1783. Quant au cimetière juif, qui se trouvait en contrebas de la colline, hors les murs, vers le site de l’actuelle rue Sincaire, depuis le Moyen-âge, il fut déplacé à la même époque pour se voir installé au sud du cimetière chrétien. Plus tard, au début du XIXe siècle, afin de ne pas perdre la clientèle des riches hivernants, le roi de Sardaigne Victor-Emmanuel Ier autorisa l’aménagement d’un cimetière protestant.
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Les cimetières du Château sont les plus spectaculaires de Nice tant par leur situation que par le nombre de monuments funéraires de qualité qui s’y trouvent. Ils furent établis sur la base des murailles de la partie " moderne " de la citadelle, érigée au XVIe siècle et dont on peut voir des vestiges à l’extérieur, à l’est du site, dans les soutènements de la montée Eberlé. Un système de terrasses permet une répartition des tombes très aérée, ménageant de spectaculaires échappées panoramiques sur la ville, la mer et le cirque de montagnes qui l’entoure.
Le cimetière chrétien du Château présente aussi la particularité d’unir dans son enceinte plusieurs groupes nationaux, religieux et sociaux. Il est à la fois le cimetière du petit peuple du Vieux-Nice, celui des grandes notabilités politiques et sociales de la fin du XIXe - début du XXe siècle et celui des communautés étrangères formées par le tourisme hivernal (Russes, Allemands, Anglais et Américains).
Hommage à une trés trés grande dame
De ce fait, on y trouve des tombes catholiques, mais aussi protestantes et orthodoxes. Les plus anciennes tombes sont de style néo-classique. Elles s’inspirent des sarcophages romains. On remarque aussi des chapelles parfois de même style, ou le plus souvent néo-gothique.
Toutefois, les plus nombreuses et les plus remarquables sont d’influence ligure. Elles allient lyrisme déclamatoire et réalisme minutieux. Bustes ou médaillons sculptés représentant les défunts, croix, anges, motifs symboliques comme l’ancre, signe d’espérance, les torches renversées, le lierre ou la fleur de pavot font de ces jardins de pierre un véritable musée.
l'ange de Nice protége la famille Giordano(1895)
Par sa situation proche de la ville encore limitée à l’actuel Vieux-Nice au début du XIXe siècle, le cimetière du Château concentre, dans sa partie nord, nombre de tombes de personnalités niçoise de cette époque : ainsi celle de la famille Garibaldi, contenant les restes de la mère du Héros des Deux-Mondes, Rosa (sa femme Anita, morte en 1849 près de Ravenne, y fut ensevelie en 1859 puis sa dépouille réclamée par l’Italie, fut transférée à Rome en 1931).
Rosa Garibaldi , la mére de Guiseppe
Celles du poète de langue niçoise Rosalinde Rancher (1785-1843), du député de Nice au parlement de Turin Benoît Bunico (1810-1863), de l’amiral Félix De Constantin de Châteauneuf qui bombarda Tripoli en 1825, du célèbre corsaire Joseph Bavastro (1760-1833), du naturaliste Antoine Risso (1777-1845), du peintre Clément Roassal (1781-1850), du chimiste André Vérany (1812-1863), de la poétesse Agathe-Sophie Sasserno (1810-1860).
une fleur pour Mme Matisse l'épouse du grand peintre
A partir de la seconde moitié du XIXe siècle, la haute société politique niçoise vient rejoindre ces premières personnalités : les maires Alfred Borriglione (1843-1902), les ministres Edouard Corniglion-Molinier (1898-1963) et Edouard Grinda (1866-1959), les députés Constantin Bergondi (1819-1874), Flaminius Raiberti (1862-1929).
Le monde de la culture est aussi présent. Des peintres Charles Garacci (1818-1903), auteur d’un fameux portrait de Garibaldi, et Victor Sabatier à l’architecte Jules Febvre (1859-1934), concepteur, entre autres, de l’église Notre-Dame-Auxiliatrice (Don Bosco), et aux poètes niçois " Menica " Rondelly (1854-1935, qui écrit " La miéu bella Nissa ", devenu l’hymne de la ville) et Jouan Nicola (1895-1974).
l'amour que l'on porte à Nice est éternel
Nombre de personnalités locales viennent reposer entre ces murs, avec le grand mathématicien niçois Paul Montel (1876-1975). N’oublions pas les bienfaiteurs, César Rossetti, François Grosso (dont l’ange de la monumentale tombe semble bénir la ville), et dont les noms ponctuent aussi la géographie de la ville. Enfin, notons, en face de l’entrée, l’émouvante pyramide élevée en hommage aux morts de l’incendie du Théâtre municipal (remplacé par l’actuel Opéra) du 23 mars 1881.
Au coté de Garibaldi, Menica Rondelly le pére de l'hymne niçois
Quant au cimetière juif voisin, il retrace par ses tombes l’histoire d’une communauté paisiblement et très anciennement implantée à Nice. La simplicité des sépultures et leur dépouillement, quoique parfois marquées par l’architecture néo-classique, restent conformes à la tradition funéraire hébraïque.
Remarquez les deux fauteuils en marbre pour se recueillir
Mais, en ce XIXe siècle et jusqu’à nos jours, Nice devient aussi une grande ville internationale. Les consonances des patronymes gravés çà et là suffisent à le démontrer : de la Russie aux Pays-Bas, de l’Autriche à l’Angleterre, de l’Espagne à la Pologne, tout un monde se découvre, au gré des symboliques propres, confondu dans la mort. Le révolutionnaire russe Alexandre Herzen (1812-1870), honoré, des années durant, par l’Union soviétique et les communistes niçois, n’est pas loin de Léon Gambetta.
Loin de son époux Henri Matisse, qui repose à côté du cimetière de Cimiez, on découvre la tombe étrangement ornée de Marguerite Duthuit-Matisse, comme celle de Mercédès Jellinek (la fille du confondateur, avec Benz, de la célèbre firme automobile dont le père, éploré, choisit son prénom pour le perpétuer à travers la marque Mercédès), entre ces mêmes murs.
L’écrivain Gaston Leroux (1868-1927), le père de Rouletabille, se trouve là aussi. À côté de l’entrée du cimetière, la chapelle de la Sainte-Trinité (1935) est une œuvre de l’architecte François Aragon qui est aussi l’auteur des fresques intérieures. Les cimetières du Château de Nice témoignent donc de la diversité et de l’originalité de l’histoire niçoise au sein du grand moment d’égalité qu’engendre la mort.
famille Lautner
DIAPORAMA DU CIMETIERE