On aura quelque difficulté à imaginer qu'à son apogée, Rocca Sparvièra compta jusqu'à 350 habitants, la communauté étant dotée d'une administration, d'une seigneurie, d'un notaire, d'un curé ... Rocca Sparvièra, situé à une trentaine de kilomètres au nord de Nice dresse ses ruines confondues à la roche grise au-dessus du col Saint Michel. Ce village fantôme, dans un décor sauvage, est marqué de légendes sanglantes où se mêlent crime et anthropophagie stimulés par la vengeance.
le col saint Roch une sorte de Turini
Au Moyen Âge, ce lieu aurait été maudit par la Reine Jeanne à qui on aurait servi ses enfants assassinés au souper du Réveillon de Noël. Plus tard, pendant les guerres de la Révolution, les Barbets (résistants niçois), réfugiés dans les ruines, feront manger à des soldats français le cœur de l’officier meurtrier de l'un de leur père. Le village, dominé par les restes de son château, s’accroche sur une crête rocheuse surveillant le col, passage obligé d’une voie inter-vallée. Il faut compter une bonne heure de marche pour y accéder.
Une cinquantaine de bâtisses ruinées s’entassent dans une enceinte avec les traces d’un four et d’une citerne. Des caves voûtées sont encore debout. Au nord-est, les vestiges de l’enceinte sont complétés par les restes du logis seigneurial avec fenêtres à meneaux. Une sorte de poterne effondrée s’ouvrait au nord de l’enceinte. Les grandes façades surplombant à l’est le chemin de l’Engarvin sont datables du XVIème siècle. Seule subsiste intacte sur une plate-forme, la chapelle Saint Michel, restaurée en 1924 sur les structures de la paroissiale.
Revenons sur les origines de Rocca Sparvièra qui apparaît pour la première fois dans l’Histoire dans deux chartres du XIIème siècle recensant les paroisses dépendantes de l’évêché de Nice. Le 6 mars 1271, un des membres de l’illustre famille niçoise des Riquier prête hommage au souverain, ils seront co-seigneurs de Rocca Sparvièra. En 1271, le village compte 150 habitants son église paroissiale est déjà dédiée à Saint Michel (Sant Michele).
Le château est mentionné en 1358 dans le contrat d’inféodation et acquis avec son fief pour 700 florins d’or par Pierre Marquesan di Nizza. En 1364, la Reine Jeanne de Naples élève le fief au rang de baronnie, mais une invasion de sauterelles anéantit les cultures. La misère se poursuit au point qu’en 1376 la petite communauté est déclarée insolvable.
Au dédit de Nice de 1388, les nobles locaux s’opposent au nouveau pouvoir savoyard sauf Pierre Marquesan qui se verra gratifié d’une pension spéciale de 200 florins d’or par le Comte rouge (Amédée VII). Il s’oppose ensuite à son protecteur, accusé de haute trahison, ses biens sont confisqués en 1391. Disculpé, il sera réinvesti officiellement des fiefs de Coaraze et Rocca Sparvièra en 1399. La famille Marquesan conservera ensuite la seigneurie jusqu’en 1781. Mais un sort funeste semble s’acharner sur ce malheureux village victime d’une série d’épidémies de peste au XVIe siècle emportant une partie de la population. De plus, une suite de redoutables tremblements de terre vont détruire une partie des maisons entraînant le début de son abandon.
les ruines sont confondues avec la roche grise
L’abandon progressif de cette commune qui aurait compté jusqu’à 350 âmes avant ces bouleversements, avec administration communale et même un notaire, va s’échelonner tout au long du XVIIème siècle. Si en 1690 quelques irréductibles s’accrochent encore aux ruines, dix ans plus tard, seuls le curé et sa servante y résideront encore avant de se résigner à partir eux aussi en 1723.
la chapelle Saint Michel sur le versant est.
L’abandon s’explique d’une part par l’absence d’eau sur ces hauteurs au relief tourmenté où seules des citernes d’eau de pluie devaient permettre une vie précaire, d’autre part les destructions des tremblements de terre qui malmenèrent effroyablement les villages plantés sur le roc. La terrible malédiction de la Reine Jeanne expliquerait pour certains les malheurs successifs de Rocca Sparvièra.
Voici donc la terrible histoire de Rocca Sparvièra, (le rocher aux éperviers en français), et la légende de la reine Jeanne : Accusée d'avoir assassiné son premier époux André de Hongrie, poursuivie par une famille hurlant à la vengeance, la reine Jeanne, accompagnée de ses deux enfants, Catherine et François, de leur nourrice, d'un prêtre et de gardes, trouva refuge dans son château de Rocca Sparvièra.
L'endroit était bien choisi, car dissimulé à la vue depuis les vallées, situé sur une pente escarpée et facilement défendable car n'ayant qu'un seul accès, le petit sentier ne laissant passer qu'une personne à la fois. Les villageois n'apprécièrent que très modérément de nourrir tout ce petit monde alors qu'ils peinaient déjà à subvenir à leurs propres besoins. La terre est très rocailleuse et pentue, n'offrant des terrains exploitables pour les cultures qu'à la gauche du village ou subsistent des terrasses étroites.
fenetre dans la vallée du paillon
Mais, les hommes à la solde de la cour de Hongrie retrouvèrent leurs traces et firent en sorte de s'assurer de la collaboration des habitants en les ravitaillant. Le prêtre, grand ami de Bacchus, ne put résister à la tentation. Profitant de son absence, le prêtre fit entrer ses nouveaux amis dans le château, espérant lui aussi célébrer Noël à sa façon. Ces nouveaux venus, se présentant comme des commerçants, lui permirent d'entretenir de grandes discussions théologiques avec cet ami de toujours. Tant et si bien qu'il ne fut bientôt plus en mesure d'assurer les offices dans la chapelle Saint Pierre (Coaraze).
cave souterraine de Rocca Sparviera
De passage à la Noël, dans son fief de Rocca Sparvièra, la Reine Jeanne tint à assister à la messe de minuit dans l’église du village voisin de Coaraze. Elle laissa ses deux enfants à leur nourrice. En chemin, la Reine Jeanne fut saisie par un pressentiment accentué par les croassements d’un sombre vol de corbeaux qui semblaient répéter : « la Reine va à la messe, lorsqu’elle reviendra elle trouvera table mise ! ».
A son retour au château, la reine découvrit un horrible spectacle : le chapelain ivre mort, la nourrice gisant dans le bûcher et sur la table du festin, couché sur un plat, les corps nus des pauvres enfants avec un large couteau planté dans la poitrine. Selon d'autres sources, ils auraient été découpés en morceaux... Folle de douleur, la Reine Jeanne repartit le lendemain vers Naples, après avoir fait incendier le château. Sur le chemin de Coaraze, elle se retourna vers le rocher de Rocca Sparvièra et proféra cette terrible malédiction: «Roche sanglante, roche maligne, un jour viendra où sur tes ruines ne chantera plus ni le coq ni la poule». "Un jou vendra que aqui non cantéra plus ni gal ni galina." Depuis, le maléfice s’est réalisé.
Malédiction ou coïncidence, toujours est il que le village subit à plusieurs reprises de violents séismes et fut totalement abandonné par la population depuis le XVIème siècle. A noter cependant qu'en vérifiant sur des sources historiques, les deux enfants susmentionnés et qu'elle eut de son second mariage avec son cousin et amant Louis de Tarente sont morts en 1364 pour Catherine, l'ainée, et en 1352 pour sa cadette Françoise... Et c'est à cet endroit que l'histoire devient légende !!!
DIAPORAMA DE LA BALADE