Lorsque vous viendrez visiter Barcelonnette, vous entendrez parler des villas mexicaines. Alors ceux qui s’attendent à voir une architecture spécifique à ce pays d’Amérique seront bien déçus. Ce que Barcelonnette appelle les villas mexicaines, sont en fait de grosses et somptueuses demeures qui reflètent non pas l’architecture locale mais montrent l’enrichissement qu’on eut les Barcelonnettes au Mexique.
Etalée sur un demi-siècle (1880-1930), la construction des villas de Barcelonnette regroupe une cinquantaine d'édifices qui ont favorisé la création d'un nouvel urbanisme proche de celui des villes d'eau contemporaines. Il en résulte un esprit et un mode de villégiature qui vont caractériser l'émergence de cette nouvelle architecture plus familière du littoral Méditerranéen. Les commanditaires sont tous des enfants du pays, de retour après de longues années d'émigration et qui ont tous brillamment réussi dans l'industrie textile et le négoce.
Ainsi, après avoir longtemps été à la pointe du goût et de la modernité, ils s'attachent à la construction d'une villa moderne où ils passeront l'été avant de rejoindre le front de mer dès les premiers frimas de l'hiver. Les riches années 1890-1910 instaurent de nouvelles pratiques architecturales. Les villas deviennent ambitieuses, les modèles se multiplient, les façades s'ornent et surtout les toitures se compliquent, toujours plus haute.
Des architectes venus des principales métropoles dessinent d'imposantes « villas châteaux» et puisent dans toutes les ressources de l'éclectisme fin de siècle. L'accent est mis sur l'effet de silhouette. Regroupées à l'est de Barcelonnette, les villas témoignent de la diversité des formes architecturales et du vocabulaire décoratif. Au castel néo-gothique succède un palazzo florentin avec son ordonnance de pilastres.
Depuis une trentaine d'années, la ville de Barcelonnette célèbre son lien historique avec le Mexique. L'histoire de la petite ville de Barcelonnette est intimement liée au Mexique où émigrèrent quelque 3 000 enfants du pays au XIXe siècle. Les fêtes latino-mexicaines, qui débutent au mois d'Aout chaque année et animent la capitale de l'Ubaye jusqu'au 15 août, sont une manière de célébrer ces liens et de conter cette histoire particulière. Populaires et festives, rythmées et entraînantes, ces animations sont avant tout l'expression de l'attachement au Mexique.
Chateau des Magnans
Chaque année, elles entraînent dans leur sillage des milliers de spectateurs, avides des couleurs et des rythmes latino-mexicains. Concerts des groupes Mariachi Real de Cocula sont au programme sans oublier les aubades des mariachis qui déambulent dès le matin dans les rues de Barcelonnette, la Mexicaine. Les Fêtes Latino-Mexicaines mettent toute une ville à l'heure mexicaine, les restaurants servent des repas mexicains : Chili Con Carne, Fajitas... Bières. Tequilas mais aussi Mojito se dégustent avec modération !
Les premiers pionniers en provenance de la vallée de l'Ubaye furent les trois frères Arnaud, de la filature de soie de Jausiers. Ils partirent initialement pour la Louisiane, où existait une importante émigration française ; ils y devinrent petits fournisseurs de textile de l'armée américaine. Puis, ils allèrent s'établir à Mexico où ils fondèrent un premier magasin de tissu. Transmettant la nouvelle de leur installation à leur vallée d'origine, ils furent peu à peu rejoints par quelques uns de leurs compatriotes. C'est surtout à partir de 1845 que prit corps le mouvement d'émigration des Barcelonnettes.
A compter de cette date, les départs à destination du Mexique s'intensifièrent. S'aidant les uns les autres avec les petits moyens dont ils disposaient au cours de ces premières années, les arrivants suivirent en majorité l'exemple des frères Arnaud et firent "carrière" dans le commerce de la ropa (tissus, vêtements, linge de maison, etc.).
Dans les premiers temps, les activités des Ubayens se partagèrent entre de simples magasins de détail, vendant des étoffes à bas prix, à la partie la plus inférieure de la population et le colportage à travers tout le pays, dans des conditions souvent très risquées en raison d'un banditisme endémique. Ces premiers succès attirèrent de plus en plus de jeunes de la vallée de l'Ubaye, générant un véritable courant d'émigration dont l'ampleur était sans précédent.
Villa la Sapiniere
Durant les années 1860, le blocus des Etats sudistes, grands fournisseurs de coton, notamment la Louisiane, où les champs furent souvent laissés à l'abandon réduisit rapidement la production américaine, faisant grimper les prix de la matière première. Les Barcelonnettes saisirent immédiatement cette occasion inespérée de faire fortune et devinrent les fournisseurs de l'armée américaine. Au cours de cette même période, les événements internationaux allaient leur être une seconde fois favorables, avec l'arrivée au Mexique des troupes françaises de Napoléon III (1862-1867), venues défendre le trône de l'empereur Maximilien.
Durant ces quelques années, les Barcelonnettes allaient être les pourvoyeurs de l'armée française grâce à laquelle ils firent d'énormes bénéfices, tout en restant politiquement neutres dans le conflit. Cinquante ans après leur arrivée, l'empire commercial des Ubayens commençait à prendre forme : ils possédaient de nombreux magasins de détail, un réseau de représentants dans tout le pays, ainsi que des comptoirs d'achat (gros et demi-gros) en Europe avec d'importantes ramifications en France et en Angleterre.
Rue Porfiro Diaz à Barcelonnette
L'élection à la présidence du Mexique de Porfiro Diaz (1876-1911) intervint au moment où les Barcelonnettes étaient parvenus à une grande maturité économique et disposaient des moyens qui allaient faire d'eux des industriels. Durant sa longue présidence, Porfiro Diaz, favorisa largement les investissements étrangers et manifesta "une volonté démesurée pour la France". Forts de cet appui, les Barcelonnettes se développèrent davantage, en créant les premiers "grands magasins".
En 1890, on dénombrait au total 110 maisons de commerce. En 1897, il existait 132 établissements barcelonnettes au Mexique, dont 86 magasins de nouveautés. Après le commerce et l'industrie, les Barcelonnettes allaient étendre leur empire économique dans un domaine jusqu'à lors inexploré par eux, le secteur financier. Les activités barcelonnettes concernaient aussi bien les banques que les sociétés financières.
Villa la grande eperviere
En 1911 eut lieu la chute de Porfiro Diaz. Le pays entra alors peu à peu dans une période d'anarchie, de violence et de désorganisation interne, se traduisant par des grèves importantes et le sabotage des voies de communication et des appareils de production. Cela conduisit à la récession économique. La révolution mexicaine qui s'ensuivit sera longue et les entreprises des Barcelonnettes en subirent l'influence de plein fouet.
Place Manuel à Barcelonnette
Puis ce fut le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Dès la déclaration de guerre, d'un seul élan, tous les Français du Mexique en âge de porter les armes se présentèrent au consulat, sans y être contraints, pour venir combattre en France. Près d'un tiers des Barcelonnettes résidant au Mexique, principalement des jeunes, partirent pour le front. Des centaines d'entre eux tombèrent au champ d'honneur, ainsi que des dizaines de citoyens mexicains, engagés volontaires.
Ainsi, lentement, l'âge d'or des Barcelonnettes s'estompa. La communauté ne retrouvera jamais son dynamisme d'antan. La période de l'entre-deux guerres fut à son tour marquée par ce que l'on a appelé "l'autoritarisme mexicain", lequel, en raison de sa politique d'expropriation et de nationalisation de nombreuses entreprises étrangères, accentua le déclin de l'empire industriel et financier de la colonie française.
Dès lors s'amorça irrémédiablement la fin du rêve mexicain dans la vallée de l'Ubaye. Au seuil des années 1950, l'émigration se tarit définitivement et l'aventure des Barcelonnettes n'allait plus tarder à prendre fin. Il n'en demeure pas moins que l'aventure singulière de la communauté alpine en terre mexicaine connut, pendant plus d'un siècle, une réussite extraordinaire.
En 2013, qu’en est-il des Barcelonnettes au Mexique ? On dénombre encore beaucoup de Barcelonnettes au Mexique, même si toutes les fabriques ont fermé. De nombreuses familles reviennent sur les terres d’origines voir leur famille. Aujourd'hui, le nombre de descendants barcelonnettes implantés au Mexique, estimé entre 20 000 et 50 000, dépasse largement le nombre des habitants de la Vallée: 7 500. Chaque année de nombreux américains et mexicains, tous originaires de l'Ubaye, découvrent la terre de leurs ancêtres.
DIAPORAMA DE BARCELONNETTE