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Là-bas, dans la région de Vintimille (Ventimiglia), au fond de la vallée de l'Argentina, qui serpente au nord d'Arma di Taggia, à moins de 45 minutes de la frontière, la fiction rejoint quotidiennement la réalité, au grand plaisir des touristes.
Une strega sur une Harley Davidson
Tout ou presque, à Triora, est gentiment voué au culte de satan. Sur la place du village, c'est même une statue de sorcière qui accueille les visiteurs: chaque année plusieurs milliers font le déplacement ! Car les démons de Triora, figurines impies à cheval sur leurs balais, exposées dans les cafés, les vitrines des boutiques et dans le musée ethnographique de la sorcellerie, sont aussi sympathiques que ceux d'Harry Porter !
I tre streghe di Triora con Franchetta
Comment ce bourg transalpin de quatre cents âmes, est-il devenu le royaume de la reine de Sabbat ? Au XVème siècle, le village connut un procès de la sorcellerie très célèbre en Italie bien avant Salem. Entre 1587 et 1589, l'inquisition fit des ravages à Triora à cause d'un enchaînement de mauvaises récoltes.
Fontaine et source situé à la porte nord ornée d'un blason à 2 dauphins. D’après la tradition au dessus de la fontaine habitait le bourreau
La commune était le grenier à blé de la République de Gênes dont la colère d'alors fut terrible. Des dizaines de femmes furent arrêtées par les inquisiteurs et plusieurs d'entre elles emprisonnées de longs mois dans les geôles qui abritent aujourd'hui le musée de la sorcellerie. En fait la canicule était la seule coupable.
Voutes de la via Roma
Mais les femmes du pays, adeptes de la médecine par les plantes, étaient suspectées par le clergé de pouvoirs étranges et d'avoir provoqué la disette. Mais au fait, existe-t-il encore de vraies sorcières à Triora ? C'est la question que tous les visiteurs se posent… Pour ma part ce jour la, j’etais accompagné par trois sorcières. Celle qui partage ma vie de tout les jours, sa soeur ainée et leur copine Sylvie.
Apparemment mes trois sorcières ont ressentie des ondes qui murmureraient à leurs oreilles, de drôles de litanies, des prières à l'envers, mais pour le bien de tous, uniquement. Mais, ce ne fut pas toujours le cas. A l’époque de l’ancien comté de Nice, il était facile de rencontrer le Diable, sur ces terres chargées de contrastes où s’opposent mer et montagne, au carrefour de la Provence occidentale et du royaume de Piemont-Sardaigne.
En haut: portail du XIVe siècle portant les initiales O.B
Le Diable est aussi à l’aise sur la Côte d’Azur où s’étalent d’outrageantes richesses que vers l’intérieur où se cachent une humilité austère. Puits du Diable, Château du Diable, Cime du Diable, longue est la liste des sites, marqués par la forte empreinte de celui qualifié par Bernanos de « Singe de Dieu ».
La place de la collegiale
De Nice, à la Vallée des Merveilles, devenue son « domaine réservé », le Diable hante les villages, plastronne sur les murs des chapelles et persiste à enflammer l’imaginaire de ses habitants. À Triora, chaque recoin regorge d'histoires de strie et basue, de sorcières et de magie. Certaines femmes de Triora en 1588 furent victimes de l'un des procès pour sorcellerie les plus sanglants de la Ligurie.
linteau de la maison Tamagni orné au dessus de 2 lions encadrant un blason et en dessous un chrisme
Une visite de la Cabotina vaut également le détour, une petite construction où la légende raconte qu'ici se réunissaient les sorcières. Visiter ce village antique est un véritable plaisir. Se promener dans le bourg le long de ses ruelles, sous des voûtes et des arcades creusées dans la roche, dans les antres sombres de maisons délabrées, signifie retourner en arrière dans le temps.
Les Case-Torri maisons de 7 étages servant à la fois d'habitations et de tours de defense
On se dit que se perdre dans ce dédale de ruelles lorsque le soleil n’est plus à l’horizon serait tout autre qu’agréable. Certains de ces passages étroits, dits carruggi, s’entremêlent à un point que, même en plein jour, l’illumination artificielle est de mise. Chaque recoin présente des signes du passé. Un lieu où il fait bon de se perdre pour observer toute sa beauté architectonique.
Linteau orné d'une Annonciation via Camurata
Les portails d'ardoise, en effet, sont une autre merveille de Triora : du portail gothique (XIIème siècle) de la Collegiata, à ceux des palais nobles, avec les armoiries des maisons effacées pendant la période post-révolutionnaire française, avec les linteaux sculptés, les marbres abrasés, les bas-reliefs sur la pierre noire ou l'ardoise, et des sculptures fascinantes.
Un dédale de rues souterraines qui se superposent une au dessus de l'autre, c'est impressionnant !
J’ai eu le plaisir de faire visiter Triora à des amis bretons, Sylvie et Fabrice installés à Grasse depuis un bout de temps maintenant. Ils sont fascinés par l’arrière pays niçois et sa partie italienne. Comme beaucoup de Français, ils ne pensaient pas découvrir les trésors culturels que regorgent mon pays et devant l’intérêt du site de Triora et le peu d’information disponibles en Français, il me semble utile de consacrer de nouveau un article même si j’en ai déjà fait plusieurs par le passé tant j'adore ce village.
linteau de la maison Velli orné du schisme et de 2 écussons nobiliaires martelés
Ce village dont la destiné politique à coïncidé, du premier empire jusqu’en 1860, avec celle du Comté de Nice. De Nice, une heure suffit pour aller à Triora. En sortant de l’autoroute à Arma Di Taggia, et en ayant laissé les turbulences de la vie moderne sur la Riviera, on remonte, en moins de 30 kilomètres, plusieurs siècles passés. La région rappelle, qu’elle est imprégnée d’un contexte lié aux sorcières.
En haut, habitation d'une sorcière
Triora représentait à l’époque un endroit stratégique puisque, de là, on pouvait facilement gagner la France puis la Suisse, l’Allemagne et les autres pays protestants, autant que se rendre aisément dans les villes du littoral : Nice, Vintimille, et surtout Gênes, ville riche et puissante. Mais Triora devint un village maudit...
Linteau orné du chrisme
A l’origine, simple forteresse, Triora devient au VIIe siècle, le refuge de populations fuyant les dévastations opérées en Ligurie par le roi lombard Rotari. Puis au IXe siècle ce fut le tour des sarrasins qui firent d’incessantes incursions et multiplièrent les attaques et les razzias. Enfin les génois assurent la protection de toute la ligurie occidentale mais en faisant une inquisition sanglante.
La chouette est l'animal de la sorcière
Ce n’est qu’en 1600 que Triora passe à la Maison de Savoie (Casa di Savoia) et dépendra dorénavant du sénat du comté de Nice (Senato del countea di Nizza). Mais les Français veulent en prendre possession avec la révolution. Triora est marqué par les saccages et les abus de toutes sortes des armées barbares révolutionnaires. Après les lombards, les sarrasins, les génois, les habitants de Triora sont confrontés à de nouveaux envahisseurs, les cruels Français !
En 1818, après la chute de l’empire, la ligurie occidentale retourne à la province de Nice et au roi de Sardaigne. En 1860, lors de l’annexion frauduleuse du comté de Nice, Triora passe sous l’autorité de la province de Porto Maurizio (Imperia). En 1861, le royaume sarde se transforme en royaume d’Italie. Les dernières vallées italiennes du Comté de Nice sont dépouillées par la France en 1947.
Grotta alla Madonna di Lourdes a Triora
Bien sur tout cela est schématisé de ma part, car Triora est un joyaux de l’histoire ligure et il me faudrait plusieurs pages pour vous en dévoiler les détails. Enfin tout cela pour vous dire que nous avons été séparé de nos frères et soeurs, de nos cousins, voire même de nos parents. Le comté de Nice aurait du rester au pays qui était le sien….
Mais revenons à Triora, car hormis les sorcières, ce village médiéval est d’une richesse architecturale remarquable et surtout ses linteaux de porte qui m’ont terriblement impressionné.
Les linteaux de Triora peuvent être répartis en trois grandes familles: les linteaux décorés de motifs religieux (chrisme, INRI, Agnus Dei, etc...), ceux décorés d'armoiries et d'initiales des familles les ayant fait poser, et enfin ceux portant des phrases d'ordre moral.
La cabotina, réputée pour être le lieu de réunion des sorcieres
Parfois les trois styles cohabitent sur un même linteau. On peut noter que les linteaux armoriés ont été martelés après la chute de l’empire. La pratique des linteaux est courante dans toute les vallées niçoises, mais chaque village se distingue par l'utilisation de pierres différentes, à la coloration variant selon la carrière d'où elles étaient extraites : noire pour la carrière de Triora par exemple.
Le donjon du castello (XIIIe siècle)
Là encore, c’est en déambulant dans le village que vous pourrez le mieux apprécier la découverte de ces trésors ! Le village est resté dans son jus comme on dit ! On remarque encore les représailles allemandes de 1944, car les habitants étaient tous des partisans. Les demeures nobles ont été éventré par la dynamite.
Comment ce village a t’il pu continuer d’exister avec autant de barbares qui l’ont menacé ? La restauration de ces témoins du passé s’impose avant qu’ils ne disparaissent à jamais. Car Triora est un trésor rare de notre patrimoine. Le gouvernement italien devrait vite faire quelque chose !
Fete des Sorcières à suivre au prochain épisode (sagra delle streghe)
DIAPORAMA DE LA BALADE